Préambule

Le design c’est ? est d’abord une exposition produite par l’Agence culturelle dépar-tementale Dordogne-Périgord à Périgueux (Dordogne) et dont les motivations re-joignent les nombreux débats qui se présentent dans le champ du design à l’heure actuelle. Pour cette Agence culturelle chargée d’une mission de diffusion artistique et culturelle auprès d’un différents publics, de tous âges, spécialistes ou non, la nécessité se posait de comprendre la place occupée par le design dans le champ de la création et plus particulièrement dans celui des arts visuels. Il s’agissait donc d’apporter des clefs de lecture face à une production de plus en plus hétérogène et éclectique et de faire connaître les différents modes d’intervention des designers en regard de questions contemporaines.

Depuis 20 ans, l’Agence culturelle Dordogne-Périgord coordonne les résidences de designers invités à mener des recherches avec des artisans métiers d’art de Non-tron. Dans le cadre des « Résidences de l’Art en Dordogne » cette exposition didac-tique était une opportunité pour mieux comprendre ce type d’action. L’exposition Le design c’est ? s’est déroulée à l’Espace culturel François Mitterrand à Périgueux (Dordogne) du 8 octobre 2015 au 12 décembre 2015.

L’exposition, qui devait permettre de comprendre et de regarder le design au-jourd’hui, était pour moi la bienvenue. Que cette exposition soit portée et produite par l’Agence culturelle départementale Dordogne-Périgord lui donnait encore plus de légitimité. C’est la reconnaissance que le design appartient à notre culture, et qu’il nous concerne tous.

En effet, le design est devenu un phénomène de masse. Nombreux sont ceux et celles qui ont une volonté de design dans leur vie quotidienne, nombreux aussi sont ceux qui veulent s’engager dans le design. Le nombre d’écoles en augmentation sont pour en témoigner. Ce n’est pas pour autant qu’il y a du design partout.

Le design est devenu un argument. Nombreux sont ceux qui se revendiquent du de-sign. Les écoles d’art et d’architecture bien sûr, mais aussi de marketing ou d’ingé-nieurs, ont prétention à l’enseigner. Les institutions politiques et économiques en font la promotion et soutiennent son développement comme principe de progrès, parfois de sauvetage et de survie pour l’entreprise. Il est attendu comme valeur ajoutée. Et pourtant, le design ne sauve pas toujours les meubles.

Si le design s’est imposé au cours du xxe siècle en relation avec le développement industriel, sa prise en compte nécessite des connaissances spécifiques et une sen-sibilité à la construction des formes. Très souvent, son évocation suscite des réac-tions qui se réfèrent à des formes dites originales ou épurées, à des couleurs vives et tranchées ou à des matériaux comme le métal, le verre, les plastiques. Le design est pris pour un style, en position d’adjectif comme on dit c’est beau, c’est moche, c’est froid, c’est « design ». Ce point de vue stylistique souligne son caractère nou-veau ainsi que son appartenance au système de la mode. Je fais aussi l’hypothèse que cette perception de la stylisation de la vie par le design témoigne qu’il est un élément de la culture contemporaine socialement partagé.

À partir de ces constats, l’exposition Le design c’est ? s’est voulue didactique dans l’ensemble de sa conception, tant par les objets et les projets présentés, qu’à tra-vers la scénographie et la communication graphique. Il s’agissait de souligner que toutes ces approches relèvent de l’activité du designer et appartiennent au champ du design.

La scénographie conçue par David Dubois mettait des objets et des documents sur une surface table, à une hauteur intermédiaire, accessibles (même si on ne pouvait pas y toucher) et sans être sacralisés. Le dispositif, que l’on peut dire archétypal dans l’histoire des expositions de design (plateaux sur tréteaux), témoignait d’une économie non seulement financière mais aussi à travers sa simplicité formelle, dans l’énergie à déployer pour installer et désinstaller l’exposition (ce dont témoignent les emballages glissés sous la table).

Le design graphique conçu par Didier Lechenne offrait une lecture précise et claire du propos. Les titres sont sur fond bleu pour l’ensemble des informations, avec un point d’interrogation comme signe prévalent. Il indique que la question est sans cesse réactivée. En effet, le design, qui réunit techniques, esthétiques et so-ciété, travaille sans cesse à sa définition.

Le choix des objets s’est effectué sur un principe de proximité et avec la volonté de dire au visiteur « le design est chez vous ». Tous les jours, le public, qu’il soit spécia-liste ou non, utilise des objets ou côtoie des situations qui appartiennent au champ du design. Les productions puisées au plus proche et choisies comme autant de cas d’école pour leur qualité exemplaire, sont décrites pour ce qu’elles supposent d’un process, mais aussi d’une pratique et d’un usage. Elles sont observées dans ce qu’elles relatent d’une époque ou d’une société (techniques, styles, cultures). Cette observation s’accompagne de récits multiples (entretiens sonores, films, écrits, images). Tous les projets, qu’ils soient objets, situations, informations, sont conçus par des designers. Ils donnent une vue large et diversifiée de leurs champs d’inter-vention. Le principe de proximité a aussi joué pour le prêt de certains objets. Suite à une demande lancée sur les réseaux sociaux, des collectionneurs géographique-ment proches se sont présentés. C’est ainsi que des téléphones, de Graham Bell jusqu’à nos jours, ont été aisément prêtés pour cette exposition. Enfin, quand elles servent le propos, j’ai pu réactiver différentes expériences qui depuis 1985 m’ont permis d’élaborer mes réflexions dans le design (enseignement, écriture critique, conception d’expositions, côtoiement de nombreux designers…).

La disposition des objets et leur répartition se sont construites selon quatre entrées ou catégories que j’ai établies comme « piliers » du design. Se devant de prendre en compte les changements sociaux, économiques, scientifiques ou technologiques, le design, issu d’une volonté d’art (mettre de l’art dans l’industrie), est au plus près des modes de vie en transformation continue. Les designers y travaillent à partir de ce que j’appelle les invariants fondateurs du design, « les piliers » : industrie, ob-jet, grand nombre et utile, chacun porteur d’une utopie : progrès, bien-être, pour tous, créativité. Ces invariants façonnent les relations du designer et de l’utilisateur.

L’approche didactique de l’exposition Le design c’est ? se pérennise à travers l’ap-plication numérique du même nom, conçue comme l’extension de cette exposition.À ce titre, chaque chapitre est augmenté de la description d’une recherche plus particulière qui permet d’approcher les méthodes et les champs de recherche propres au design.

C’est aussi une opportunité pour revenir sur l’expérience des designers en rési-dence en collaboration avec des artisans métiers d’art de Nontron. Un chapitre y est consacré, sur le mode de documents d’archives. Il réunit les démarches des de-signers et des artisans à partir de documents, photos et textes issus des expositions et des catalogues publiés.

Enfin, considérant que les propos théoriques et les formes graphiques impliquées par les technologies de l’application sont dans une interaction étroite, commissaire d’exposition et graphiste se sont portés coauteurs de l’application Le design c’est ?. Il s’agit d’affirmer que le design graphique dans ce cas est important pour rendre la lecture accessible et contribuer à l’interprétation des données.

En d’autres termes, le design c’est ? entend démontrer que le design façonne le re-gard et participe de l’éthique d’une production. Il construit un champ d’expérience proche, commun, connu et partagé. En ce sens, le design reste plus que jamais l’ex-pression de notre créativité sociale.

Jeanne Quéheillard

Commissaire de l’exposition.