Concevoir et développer des projets, démarcher des clients, répondre à des commandes, tel est le quotidien d’un designer. Respecter un cahier des charges, sans cesser d’être créatif, voilà la spécificité de son travail. En la matière, Samuel Accoceberry a fait ses preuves, avec un départ en flèche dans la profession. Sollicité pour des meubles, des tapis, des miroirs, des ustensiles de cuisine ou des équipements techniques pour l’aéroport d’Orly, il a su donner des réponses appropriées. Il est en ce moment affairé à un projet de mobilier urbain pour la Ville de Paris.
Lauréat de la 5e Résidence de designer de Nontron, Samuel Accoceberry a choisi de travailler avec la céramiste Kristiane Hink, le menuisier-luthier Benoît Obé et l’ébéniste Alexander Hay. Dix-huit mois de collaboration au terme desquels ont été constituées quatre remarquables collections. Si l’ensemble des pièces ont été pensées par le designer comme un alphabet, c’est bien la première collection qui en donne l’illustration la plus évidente. Le propos a été, en effet, de constituer un ensemble d’ustensiles en grès, porcelaine et bois, imaginés comme des caractères typographiques, expressifs, de couleurs contrastées. L’abécédaire ainsi créé, on pouvait jouer de façon interactive avec les 17 éléments, selon des combinaisons démultipliées. Dissociées, assemblées, superposées, empilées, nombre de figures étaient alors possibles, laissées à la libre créativité de l’utilisateur.
On ne peut s’empêcher d’évoquer les théières de Marianne Brandt au Bauhaus des années 1920. Pour une même panse, elle soumettait, en effet, plusieurs propositions de becs, d’anses ou de couvercles. Un principe de combinatoire qui a fortement contribué à poser les bases du design.
La deuxième collection (grès + bois) s’offre comme un paysage domestique, mettant l’accent sur les couvercles qui obturent les pots de grès noir. Ce sont en fait des plateaux que le designer surmonte d’arceaux, graphiques et aériens, disposés en plans successifs. La trame ainsi formée figure une futaie d’arbres morts. Avec quelle économie de moyens Samuel Accoceberry campe ce bout de forêt, d’un simple jeu entre volume et graphisme. Au-delà de leur fonction utilitaire, ces couvercles paysagés jouent aussi un rôle d’objet de contemplation à forte valeur émotionnelle et esthétique.
Enfin, réunies, ces 2 collections forment un petit théâtre d’objets où les éléments, en se permutant, affectent à la fois le paysage d’ensemble et les objets eux-mêmes, suivant l’arrangement des pièces.
Étagères en fuite
Micro-architectures originales, les étagères ont deux fonctions conjointes : espace de rangement et éléments de séparation. Samuel Accoceberry se fait ici l’héritier de Le Corbusier qui avait élaboré un dispositif semblable pour le Pavillon de l’Esprit nouveau (1925). Mais le plus surprenant réside dans la conception même de ces étagères. Chacune d’elles est imaginée comme la capture d’une portion d’espace, prélevée dans un flux sans fin. « C’est comme si j’avais sectionné des segments dans un tube continu », dit le designer. Loin du géométrisme des pionniers du design, Samuel Accoceberry affirme ainsi sa marque personnelle. Ses créations, en effet, sont éprises d’infini. Il faut entendre par là le désir de laisser fluides les formes, d’en faire des éléments dynamiques qui traversent l’espace. L’étagère Infinity (2008) ou le tapis Tresse (2012) 1 en étaient déjà des exemples. Ici un léger déboîtement dans l’agencement des étagères, accusé par l’irrégularité des bardages de bois, participe de ce principe. Si bien que « lorsqu’on se place de côté on a l’impression d’une mise en abîme », ajoute le designer. L’effet de mouvement est encore accentué par le cintrage des éléments et le dégagement dilaté de leur ouverture qui s’ouvre à l’espace extérieur comme une bouche béante, donnant souffle au rayonnage. Intérieur/Extérieur/Passage, le thème imposé ne pouvait être mieux traité. L’étagère suspendue au mur, va plus loin encore. « Je l’ai pensée comme un meuble passe-muraille, comme si elle continuait de l’autre côté de la paroi et nous aspirait au-delà »
La dernière collection revisite les cabinets de curiosité. Ecrins géants ou présentoirs, parcourus de rayures pour activer leur dynamique, ils se vêtent et se dévêtent, jouant de la partition peau/squelette. Pour quelle destination ? Avec l’ébéniste Alexander Hay, le designer les a imaginées comme des resserres pour abriter des produits du terroir. Qu’ils soient rangés sur les étagères intérieures ou présentés sur les plateaux, fruits, légumes, conserves… sont ainsi traités comme des denrées de choix. L’enveloppe laineuse est un clin d’œil à Alexander, d’origine écossaise.
Savoir-faire en partage
À Nontron, le designer arrête un peu le cours de ses affaires et s’accorde du temps pour mener à bien avec les artisans un projet commun, dans un esprit de recherche et d’expérimentation. Modeste, il apprend d’eux autant qu’il donne de son savoir. Avec Kristiane Hink, Samuel Accoceberry s’est essayé à façonner le grès, désireux de se mettre à l’épreuve du matériau et d’en bien mesurer les exigences. Avec le menuisier Benoît Obé, il a taillé le bois.
La thématique Intérieur/Extérieur/Passage a décuplé les imaginaires, donnant lieu à des formes inédites et faisant « rendre » aux matériaux des effets insoupçonnés. Le grès a pris des couleurs, les structures mobilières se sont bardées de bois ou vêtues de laine ; les fonctions ont pris de l’ampleur et les usages ont été bousculés. Le designer n’en est pas moins allé chercher son inspiration dans le patrimoine domestique ou architectural traditionnel. Les contenants à couvercle paysagé font référence aux pots ruraux, permettant de mettre à l’abri graines et noix ; les étagères empruntent leur motif aux séchoirs à tabac…
Ainsi, une fois de plus, design et artisanat ont fait alliance, selon un juste propos.
1. R. Giusti. Le Festin n°85, pp.104-105.
Arriver, découvrir, rencontrer, travailler, partir, revenir, revenir, revenir… Voici en substance le rythme en trait d’union que le designer Samuel Accoceberry a su maintenir pendant près de dix-huit mois, pour faire exister quatre collections où l’objet-sculpture s’est inspiré du paysage Périgourdin.
En s’appuyant sur les savoir-faire vernaculaires et plus particulièrement sur la complicité éclairée de trois professionnels métiers d’art déterminés à chatouiller les limites de l’objet : les ébénistes Alexander Hay, Benoit Obé et la céramiste Kristiane Hink, Samuel Accoceberry a su donner forme à un langage formel où la fonction est sublimée au rang du symbolique. Les pièces présentées fonctionnent comme les caractères d’un abécédaire permettant d’identifier et de relier les pratiques d’un territoire en mouvement. Tantôt alchimiste, typographe, le designer est parvenu à transformer des choses en objets, des objets en sculptures et des collections en paysage poétique et graphique.
À l’instar de Nietzsche qui disait qu’ « il faut avoir du chaos en soi pour enfanter une étoile qui danse », Samuel Accoceberry, spécialiste non-spécialiste et passeur d’histoires, a su défier l’impératif du sens pour ouvrir et déverrouiller les possibles combinatoires.
D’immersions en immersions, d’aller-retour en aller-retour, le designer s’est autorisé à la dérive, à l’errance créative. Comme la fourmi évoluant sur la boucle de Möbius, il a suivi son désir de création pure.
En se libérant de la stricte valeur d’usage de l’objet, il a pu créer de nouvelles idées et rendre réel des inventions sur-mesure sous la forme des quatre collections d’objets-sculptures. Le dénominateur commun de ses créations conjuguées est la mobilité, une indéfinition assumée pourrait-on dire.
« Grès + Porcelaine + Bois », « Grès + Bois », « Bois + Bois », « Bois + Laine » : ses équations- formules contiennent l’ADN d’un mystérieux programme ou le matériau se fait nom propre. De ses combinaisons, émane une grande fluidité d’agencement. Les proportions justes, la légèreté du dessin, l’élégance et la précision de la composition traduisent cette exigence et sont guidées par une nécessité intérieure charismatique.
La sensation tient aussi à la radicalité des choix et aux coulisses d’une démarche endurante où avant d’être simple, tout peut être compliqué. Déterritorialiser l’objet, le faire redevenir chose, mieux interroger ses possibles, l’appréhender et sentir son inquiétante étrangeté, pour enfin, le re-contextualiser et le faire exister autrement. Lui inventer une nouvelle peau, un nouvel imaginaire plus proche de notre désir transférentiel.
Intérieur + extérieur = dépassement
À Nontron, le temps s’est fait écrin et a abrité le passage à l’acte du designer. Samuel Accceberry a su s’approprier et habiter cet espace hétérotopique pour faire exister des objets intimes à haute valeur ajoutée. En prenant le risque de déconstruire et de parier sur le potentiel dynamique des objet-intentions, des objet-totems, des objet-cloisons, il a rejoué l’ordre de l’évidence. Chez Samuel un pot est un pot, mais pas que… une cloison est une cloison, mais pas que… Aller au-delà de l’apparence, de la forme pour retrouver l’invu et l’insu.
Entre outils, matières et messages un langage s’est tissé pour inventer une relation d’objet autre, plus implicite.
Le processus de création a agi ici comme un liquide capable de s’incarner en idées, attitudes, gestes. À l’écoute de la parole des lieux, la démarche s’est enroulée autour d’actions clefs : expérimenter, assembler, composer, interchanger, collectionner et surtout revenir : y penser, oublier et y revenir, s’arrêter, valider, choisir, présenter.
Le propos de Samuel Accoceberry dans sa cohérence inébranlable continue de viser l’intelligence des situations. Au carrefour de la matière et du rêve, ses objets-sculptures insufflent une envie de réenchanter notre quotidien.
Une qualité de rendu au rendez-vous et une invitation au voyage…
À partir de maintenant tout peut continuer, tout peut arriver pour cette collection en mouvement. Ce paysage d’expressions peut agir comme un formidable vecteur pour rassembler les acteurs du territoire en nous portant vers d’autres pratiques et d’autres usages. Catalyseur culturel, le designer en résidence ouvre le dialogue entre gens du pays, savoir-faire et imaginaires. À l’avant-garde de la demande, il propose des possibles fédérateurs pour inviter l’avenir autrement.
L’idée à présent est d’assurer la diffusion, la transmission du langage riche en profondeur de ces créations d’excellence.
Car après tout, qu’il soit graphique, vocal, olfactif, tactile, gestuel quelle est la fonction d’un langage ? Probablement de communiquer, c’est-à-dire de faire passer du sens pour nous relier à nos valeurs d’humanité, de continuité et de créativité.