A tavola !
Jeanne Quéheillard - Janvier 2008

Stefania Di Petrillo invite à se mettre à table. Tous autour de la même table, en réponse à la question posée Contenu/Contenant, qu’elle s’est appliquée à mettre en jeu dans chaque phase de sa démarche. Les professionnels des métiers d’art et les artisans du goût de Nontron ont été nombreux à vouloir participer à l’expérience avec la designer. Hors de question de privilégier un atelier plutôt qu’un autre. Stefania Di Petrillo s’engage dans un projet commun qui fera le lien entre tous ces métiers. Des produits régionaux de qualité issus d’une agriculture biologique sont à déguster. Confits et magrets, confitures et noix, pommes et cèpes sont les contenus tout trouvés pour des contenants à établir. Les arts de la table seront le lien. Au-delà des objets réalisés, leurs belles formes ou leur inventivité, c’est leur socialité nécessaire et incontestable qui est mise en exergue. A tavola ! transporte une valeur symbolique, celle de contenir en elle et de réunir autour d’elle un terroir, ses savoirs-faire, ses produits, ceux et celles qui les façonnent, ceux et celles qui les consomment. Chaque objet avec ses techniques et ses décors est soustrait de son particularisme et de son isolement parce que les objets sont en relation dans un ensemble dynamique de fonctions : mettre sur la table, s’asseoir sur un banc, ranger dans des tiroirs, servir les assiettes, boire un verre, porter sa cuillère à la bouche, sortir son couteau… A tavola ! est devenu le symbole de l’existence active d’une communauté. C’est une boîte ambassadrice des savoirs-faire, qui en s’ouvrant contient tous les éléments pour créer un banquet : le dispositif de table, ses objets et la nourriture.

E pronto (!)
De la taille d’une palette standard qui peut la transporter (1000 x 1 200 mm), la boîte en châtaignier brut est énigmatique. Caisse de transport d’œuvres, déménagement en vue, matériel fragile, toutes les hypothèses sont possibles devant cet objet fermé, qui fonctionne comme contenant universel. Son déploiement progressif nous livre des objets. Une oscillation de leur statut, entre contenant et contenu, maintient en suspens ce qui se met en scène. La boîte se démonte et se remonte par des mécanismes simples et ingénieux. Elle se démontre avec délicatesse et raffinement, portant à son paroxysme le rituel du repas. Mettre la table et passer à table relèvent de déplacements du corps et d’une gestuelle dont la visée esthétique n’est pas déniée. « Tout est design » disait Ettore Sottsass. Stefania Di Petrillo le met en acte.

En soulevant les deux plans latéraux, soutenus par un pied amovible, la table comme plateau apparaît. Sur les deux autres faces, quatre tiroirs en vis-à-vis contiennent tous les éléments d’un couvert pour un repas de douze personnes. Dix métiers sont convoqués. Des sandows façonnés en nœud coréen fixent les objets rangés avec précaution. Une nappe tissée en lin teinté à la pelure d’oignon est dépliée. Une fois vidé, chaque tiroir devient un banc sur lequel s’attachent des coussins en feutre. Les couverts sont associés en un set où cuillère, fourchette et couteau sont tenus ensemble par leurs manches aimantés. D’un encombrement minimal, ils conservent la typologie des fameux couteaux de Nontron, tant par la forme juste augmentée que par les bois et les décors utilisés. Les verres sont en porcelaine, formés à partir d’un moule d’une bouteille bordelaise. Les casse-noix en étain sont moulés à partir de poires et de pommes. Trois tailles d’assiettes sont réalisées avec des couvercles de boîtes de conserve. Elles sont émaillées dans une gamme de quatre couleurs, bleu canard, jaune, rouge, marron, comme chacun des fonds des tiroirs et des coussins. Enfin, des boîtes de conserve (foie gras, cou de canard confit…) servent d’axe pour des serviteurs en grès sur lesquels se posent les légumes, les fruits et les noix. La table est mise. Le repas peut commencer.

L’italienne à Nontron n’oublie pas ses premières initiations au design et au monde des formes. Peut-être, celui des pâtes, « le royaume suprême de la forme » selon Tonino Benacquista 1. En invitant les élèves d’une classe d’arts appliqués à créer des prototypes de pâtes, elle boucle le cercle, de l’Italie à Nontron, du design et des métiers d’art. L’aventure cristallise savoir-faire et métiers, expérience et passion. A tavola ! est une métaphore. Elle transporte Nontron au bout du monde.

1. Tonino Benacquista. La Comedia des ratés.
Paris : Gallimard, coll. « série noire », 1991.

a tavola !
nontron • 2006-2007