Godefroy
de Virieu.
Laurence Salmon - Octobre 2006

Si une culture reste figée dans sa tradition, elle est en péril. « Ce qu’il faut rechercher pour activer et renouveler l’histoire, dit le théoricien du design François Burkhardt, c’est construire à partir de la tradition et l’adapter aux nouvelles conditions et aux nouvelles découvertes ». Ces considérations sont au cœur même du projet de Godefroy de Virieu, à Nontron.

Trois mois durant, le jeune designer a sillonné les routes boisées du Périgord Vert « comme un médecin de campagne ». Modestement, sans fanfaronner, ni claironner qu’il était designer : « c’est la meilleure manière de se faire accepter et ne pas apparaître comme un donneur de leçons d’esthétique ».

Observateur curieux des savoir-faire, Godefroy de Virieu s’est familiarisé peu à peu avec la filière artisanale locale du bois de châtaignier, choisie par le Pôle Expérimental des Métiers d’Art de Nontron et du Périgord Vert comme thématique. « J’adore les atmosphères d’atelier, s’enthousiasme-t-il. Mon travail trouve sa source dans l’observation des techniques de fabrication et des outils de production ». D’expérience, il sait toute la difficulté de ce genre d’entreprise à trouver un langage commun entre design industriel et art vernaculaire tant les modes de production sont différents.

Godefroy de Virieu est un partisan de la méthode douce au sens où l’entend son aîné, le designer Ugo La Pietra. Pour ce grand défenseur de la culture artisanale, redynamiser une production traditionnelle par le design passe par le respect des gestes ancestraux. On modifie par exemple un décor en s’inspirant de la tradition d’un savoir-faire ou de la culture d’une région. « Le designer doit savoir capter ces signes extérieurs pour donner une identité à sa création et l’inscrire dans l’histoire d’un artisanat », enseigne Ugo La Pietra.

Godefroy de Virieu a ainsi opéré une intervention sensible et contemporaine sur des objets d’un autre temps dont il respecte l’histoire et l’attachement. En premier, il a voulu redonner à la chaise de châtaignier typique sa légèreté structurelle d’origine. Il a procédé par éliminations : la plaque de renfort de l’assise en Isorel, les accoudoirs, le vernis rustique. Il a surtout expérimenté un nouveau tissage mariant des éclisses de châtaignier à une sangle technique de couleur pour inscrire ce meuble dans le présent.

Avec la même habileté, Godefroy de Virieu a apporté de la valeur ajoutée aux fameuses ganivelles, ces barrières de châtaignier couramment utilisées comme contrefort des dunes de l’Atlantique. Il a créé un motif en remplaçant à intervalles réguliers un des montants par un bambou creux ou un tube d’acier laqué dans lesquels peut se glisser un fer à béton qui rigidifie la ganivelle et la rend autonome.

Ses Arbres d’hiver ressuscitent la désuète claie à fruits où l’on faisait mûrir les récoltes des nombreux vergers du Périgord-Limousin. En revisitant l’objet, Godefroy de Virieu a voulu mettre à l’honneur un métier en voie de disparition, le feuillardier, à travers l’emploi de feuillard, cette branche flexible qui servait à cercler les tonneaux. Il s’est aussi inspiré des fourches de branches utilisées par ces mêmes feuillardiers dans la construction de leur abri d’hiver. Ces éléments d’accroche très résistants servent de poignées à ses Céramiques perchées.

Avec méthode, il s’est réapproprié le vocabulaire local en posant un regard neuf, parfois décalé, sur ce patrimoine. Sa Brassée est née du détournement d’une gaulette pelée, étuvée et cintrée. Cette branche de châtaignier de trois ans enroulée sur elle-même pour former un ressort sert d’ordinaire à former l’assise d’une chaise. Entre les mains du designer, elle devient un parfait panier à bûches dès lors qu’on écarte deux spires au moyen d’une entretoise.

Aucun objet n’était dessiné à l’avance. Tous ont été élaborés dans les ateliers. Ce projet a fait l’objet d’une exposition fin 2004, à l’espace Paul Bert à Nontron. L’expérience aurait dû s’arrêter là, s’il n’y avait pas eu la rencontre avec l’ébéniste Cyril Delage, désireux de se lancer dans une édition qui valoriserait le travail autour du châtaignier.

C’est pour Godefroy de Virieu « une vraie satisfaction de voir ces objets exister, au-delà du projet initié par le Pôle Expérimental des Métiers d’Art de Nontron et du Périgord Vert ».

le chataîgnier
nontron • 2003-2004